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Interprétation des contes
Introduction

Dans une scolarité normale, il y a le grand moment de l’entrée en classe du secondaire et du renoncement aux récits merveilleux réservés à la petite enfance.
Très vite, il s’agit de s’instruire à des principes qui prévalaient déjà à l’époque de Jules César : une chose décrétée interdite ne peut être autorisée impunément, et inversement une chose autorisée ne peut être interdite inopinément, pas même par la seule volonté de Jules César sans l’approbation des sénateurs.
Tel n’est pas le cas de ce qui se présente normalement dans les contes : tout est possible, et une chose impossible est naturellement possible.
Dans une scolarité normale, des réalités se précisent dans le domaine de l’abstraction : une soustraction impossible devient possible dans le domaine des nombres négatifs, moyennant une explication théorique approuvée par les autorités compétentes.
Tel n’est pas le cas de ce qui se présente normalement dans les contes : l’interprétation est naturellement une chose qui s’apprécie le plus librement possible en termes d’affirmation. C’est dire que le renoncement aux contes est une affaire très sérieuse au moment de l’entrée en classe du secondaire.
Pour autant, il ne peut pas se concevoir que les contes ne porteraient du sens qu’aux seules personnes qui n’ont pas réussi leur scolarité. Bien au contraire, cette liberté d’affirmation propre aux interprétations des contes se rapporte par exemple au succès des catégories « tout public » en termes d’animations et de joies partagées
En fait, les contes présentent une dimension qui échappe fondamentalement aux principes d’une scolarité réussie et qui se mesure à l’échelle peu commode des libertés d’adhésion.
De l’importance des métamorphoses

Rares sont les contes par lesquels une chose impossible qui devient possible serait autre que le fait d’une métamorphose. Entendons en cela qu’une définition usuelle des métamorphoses est simplement la transformation d’une personne ou d’une chose en une personne ou une chose que l’on ne reconnaît plus.
Autant la métamorphose d’un petit têtard en une jolie grenouille est de l’ordre des éventualités incontestables, autant la métamorphose d’une citrouille en un superbe carrosse est de l’ordre des choses établies au XVIIe siècle, à l’époque des superbes carrosses, par Charles Perrault dans sa merveilleuse histoire de Cendrillon.
La place d’une métamorphose dans un conte est celle d’un mystère qu’il s’agit de préserver. Dans l’exemple proposé par Charles Perrault, Cendrillon doit expliquer à sa belle-mère par quel épais mystère elle est rentrée en retard la veille au soir.
Le succès d’une métamorphose, dans des catégories « festivités tout public », est, par lui-même, le fait d’un patrimoine culturel devenu populaire, qui échappe fondamentalement aux principes d’une scolarité réussie.
Car, avant même les questions d’une scolarité, il y a la petite enfance, et les questions d’un apprentissage des principes du langage : au départ, il y a le fait d’identifier qu’un chien que l’on verra de face sera désigné simplement « un chien », et qu’un chien que l’on verra de profil sera désigné pareillement « un chien », bien que factuellement on ne voit pas strictement les mêmes choses. On voudra donc faire la distinction entre un simple changement d’apparence et une métamorphose qui ne s’expliquera franchement pas.
Il y a donc les réussites du langage, parmi lesquelles prennent place de véritables succès populaires, qui se décrivent mais qui échappent aux explications officielles.
Il en fut même ainsi à l’époque de l’antiquité grecque. On trouvera bien des avantages à porter mention du souvenir des succès populaires d’autrefois, des comédies burlesques d’Aristophane, à l’époque du Grand Siècle de Périclès, au Ve siècle avant J-C, dans les différentes mises en scènes des métamorphoses des divinités du panthéon grec.
On trouvera ainsi le souvenir d’une comédie d’Aristophane intitulée « les Grenouilles », mettant en scène, dans un profond marais du royaume des morts, le divin Dyonisos métamorphosé en horrible vieillard qui s’efforçait de ramer comme il pouvait pour venir au secours du grand dramaturge Euripide qui venait de décéder : dans ce contexte d’un patrimoine culturel bien précis, des grenouilles se marraient du fond du marais !
Les mises en scènes d’Aristophane étaient très appréciées du public pour leur effet de dédramatisation en dehors de toutes explications officielles : réussir à déclencher nul autre tourment que le parti d’en rire de bon cœur est même un exemple des meilleurs mystères qu’il s’agit encore de préserver, au nom des choses impossibles qui deviennent possibles.
Premier cas du loup de Gubbio

A partir d’un thème, et le loup de Gubbio en est un, différentes présentations sont possibles, dont l’appréciation sera largement fonction des talents de l’auteur du récit, mais aussi d’un contexte, tel un agréable feu de bois dans un âtre pour une soirée d’hiver capable de restituer quelques goûts bien intéressants d’une vie en milieu rural.
Car le loup de Gubbio est un hymne à la vie en tant qu’histoire qui finit bien, et c’est un récit localisé à Gubbio, petit village rural italien situé près d’Assise : le récit débute par l’exaspération des villageois face aux ravages réguliers d’un loup qui mettait beaucoup d’outrances à manifester son avidité ; puis l’histoire prend de la consistance dans l’intervention miraculeuse d’un saint homme, en la personne de St François d’Assise.
On peut envisager un récit institutionnel, dans le cadre d’un catéchisme approuvé par des autorités compétentes en charge du patrimoine spirituel des franciscains. Car St François d’Assise est un authentique personnage, dont on sait qu’il décéda le 4 octobre 1226, et qu’il obtint du Pape en 1223 de pouvoir instituer officiellement l’Ordre des franciscains.
Il est généralement de bon ton, dans des contes, de s’emparer d’un certain nombre d’éléments connus comme véridiques par telle ou telle autorité institutionnelle, pour présenter ensuite, très librement, toutes sortes de petits détails qui n’ont d’autre but que de faire toute la saveur d’une histoire bien agréable à entendre.
Dans l’affaire du loup de Gubbio, dont il sera forcément agréable d’entendre que cela finit bien, des présentations très libres pourront commencer par toutes sortes d’atrocités pour décrire la méchanceté naturelle du loup, puis il s’agira de faire apparaître une vraie métamorphose en un animal qui continue à vivre à Gubbio mais qui ne suscite plus aucune crainte, suite à l’intervention extraordinaire de St François d’Assise.
Dans le principe, la présentation d’un conte peut consister en un exercice artistique de premier plan, en produisant une création qui permet d’enthousiasmer un public dans des capacités d’échanges d’impressions.
Dans le principe, la présentation d’un conte peut aussi s’adapter à un public précis, en produisant une création artistique qui milite pour une cause précise : pour un public très averti de la sainteté de St François d’Assise, on voudra préciser la métamorphose du méchant loup en un animal bien respectueux des principes chrétiens, qui peuvent faire le renoncement aux outrages de toute avidité, ou même faire des vœux de pauvreté.
Il n’est pas certain que certaines présentations du loup de Gubbio fassent une explication bien claire du mystère de cette métamorphose en un animal devenu très chrétien : le seul nom de St François d’Assise justifie en lui-même le fait d’un tel miracle, et le propos ici n’est pas de développer tous les détails de la spiritualité franciscaine.
Dans la diversité des choses certainement réalisables, on peut envisager une présentation de l’histoire du loup de Gubbio pour un public écologiste antispéciste et néanmoins rêveur à l’occasion, capable d’apprécier une vision artistique exceptionnelle, par laquelle St François d’Assise réussirait à convertir l’animal à un végétarisme de stricte obédience, faisant des bons repas de petites fleurs aux couleurs bien appétissantes, dans une bonne petite sauce onctueuse fort nourrissante, avec un accompagnement musical harmonieux, preuve d’un miracle dimensionné pour le rachat des atrocités antérieures etc…
Concrètement, tout dépendra du prestige que l’on voudra accorder à St François d’Assise, dans l’optique du Cantique des Créatures, qui lui est personnellement attribué et reconnu par des institutions officielles. Pour un public qui aurait quelques bons motifs d’incrédulité, la présentation de l’histoire du loup de Gubbio gagnera dans la description de l’affreuse exaspération des villageois face aux larcins réguliers d’un loup qui faisait vraiment peur, une peur à laquelle il fallut remédier de bonne manière etc… : l’interprétation qui sera faite sera aussi inscrite dans la manière de présenter le récit.
Pour autant, le principe d’un conte est moins dans la qualité des explications raisonnables qui peuvent apparaître ici ou là : il est beaucoup plus dans l’émerveillement qu’il est capable de susciter, pour la plus grande joie d’un public qui reconnaît tels et tels éléments de son patrimoine culturel. En cela, toutes sortes de présentations peuvent être faites, étant entendu que certaines explications raisonnables peuvent aussi faire merveille !
Mais une vraie difficulté inhérente à la présentation d’un conte en général est de se situer par rapport à des dates précises : en l’occurrence, l’histoire du loup de Gubbio se situe du vivant de St François d’Assise, sans aucune précision supplémentaire de la part des instances ayant officiellement en charge le patrimoine spirituel des franciscains.
Sur cette question des dates précises, on voudra identifier un vrai cheminement intellectuel, qui conduit aux fresques réalisées au XIVe siècle par les peintres Giotto et Pietro Lorenzetti, faisant ornementation des murs de la partie inférieure de la Basilique St François à Assise : des fresques de toute splendeur qui représentent en particulier la Vierge Marie et l’Enfant Jésus en conversation en présence de St François d’Assise.
Il y a, dans ces fresques, quelque chose qui invite à considérer que, ce qui se concevait d’une manière ou d’une autre au XIVe siècle concernant St François d’Assise, se conçoit tout pareillement aujourd’hui : quelque chose de l’ordre d’une intemporalité concernant les miracles de St François d’Assise, et ceci sans risquer d’offenser significativement les autorités compétentes sur cette question.
En d’autres termes, l’histoire du loup de Gubbio peut encore être présentée dans une mise en scène artistique moderne, par le jeu des métamorphoses complexes qui peuvent faire réapparaître des personnages dans des époques différentes : on voudra que l’histoire se rapporte à la sainteté de St François d’Assise, développant, en particulier, sous une forme ou une autre, le renoncement aux outrages d’une avidité initiale, résumant ainsi cette conversion miraculeuse d’un personnage appelé frère Loup.
Cette intemporalité d’un conte peut finalement contribuer aux aspects merveilleux, faisant la joie d’un public qui retrouve un patrimoine culturel bien précis, et pour qui l’objet principal pourra être bien ailleurs que dans des interprétations au premier degré.
Second cas de l’Arche de Noé

Certains principes qui ont été présentés précédemment, s’agissant de l’histoire du loup de Gubbio, trouvent toute leur place dans l’histoire de l’Arche de Noé.
En premier lieu, il y a cette difficulté de se situer par rapport à des dates précises : l’Arche de Noé prend place à l’époque des premiers patriarches de l’Ancien Testament, ou pour tout dire, dans un vocabulaire usuel, cela nous renvoie à l’époque de Mathusalem. Des procédés de datation peuvent être l’objet de vraies questions, mais celles-ci peuvent aussi être considérées comme peu pertinentes s’il s’agit essentiellement de présenter un conte.
Entendons que la présentation d’une histoire se transforme en présentation d’un conte lorsque son succès échappe au contrôle de toute institution officielle. En termes de tableaux de peinture, l’Arche de Noé peut prendre place dans une abondante collection de reproductions de créations artistiques, parmi lesquelles une œuvre de Marc Chagall.
Donc il convient de parler du cataclysme d’une montée des eaux et d’un engloutissement général, en des temps immémoriaux : un cataclysme nommé le Déluge dans le vocabulaire usuel de l’Ancien Testament. Il s’agit d’un événement catastrophique, dont on sait qu’il va survenir d’une manière imminente dès le début du récit qui se rapporte à Noé.
Le récit qui se fera dans une présentation très libre gagnera certainement à donner des détails, par exemple de ce qui s’observe dans un site précis du Monte San Giorgio, dans le canton du Tessin des Alpes Suisses : un site paléontologique classé par l’Unesco, comme le mieux connu pour ses fossiles marins et « la vie marine dans ce qui fut à cet emplacement un superbe lagon tropical à l’époque du Trias » : on voudra dire combien Noé pouvait savoir à quoi s’attendre en termes de cataclysmes en général !
Le cataclysme du Déluge, ou l’engloutissement général sous les eaux des pluies diluviennes d’une durée exceptionnelle, s’annonçait comme une catastrophe fatale à toute vie terrestre dans son ensemble : il s’agit de présenter une histoire qui commence fort mal et néanmoins qui finit bien, considérant pourtant que toutes sortes de vestiges de vie humaine se trouvent aujourd’hui au fond de la mer.
On voudra présenter Noé comme un personnage extrêmement bon et soucieux de préserver l’avenir de la vie terrestre en général ; et on voudra faire connaître l’ardeur au travail, qui fut celle de Noé aux prémices du Déluge, dans la construction d’un grand bateau indispensable pour les conclusions heureuses du récit.
On précisera que Noé savait bien que les pluies diluviennes allaient progressivement engloutir les espaces de vie terrestre les plus en hauteur, mais nombreux furent ceux qui ne voulaient pas le croire, et nombreux furent ceux qui périrent noyés par ce cataclysme incroyable et redoutable, confirmant l’aspect effroyable qui marque le début de ce récit.
En lui-même, le thème du Déluge n’est pas particulier aux récits de l’Ancien Testament. Pour preuve, on le trouve aussi dans l’ancienne mythologie grecque : c’est Prométhée, qui avertit son fils Deucalion, que Zeus a décidé du Déluge et de l’anéantissement des hommes de l’âge du bronze pour faire place à un renouveau de l’humanité.
Ce qui singularise Noé, c’est d’avoir pris soin de préparer ce qu’il fallait, à bord de son grand bateau, bien évidemment pour ses proches qui lui faisaient confiance, mais aussi pour un couple de chacune des espèces qui vivaient sur terre, tout autant parmi les animaux d’élevage que parmi les bêtes sauvages, dans toute la diversité que l’on sait, ou en d’autres termes « en signe d’alliance avec l’Eternel » (cf Genèse, chapitres VI à VIII)
Et pour reprendre le fait d’une abondante collection de reproductions de créations picturales en dehors de toute institution officielle, on peut bénéficier aisément du foisonnement des imaginations pour représenter les préparatifs d’un embarquement, mettant, en bonne place, qui un couple de girafes au long cou, qui une biche et son cerf, qui un couple d’éléphants, etc…
A toute cette diversité s’ajoute bien évidemment les quantités de vivres qu’il s’agissait aussi d’embarquer pour chaque couple des différentes espèces qui vivent normalement sur terre
Le récit prend forcément une dimension miraculeuse. Le grand bateau n’est pas une construction ordinaire : ce sont les dimensions de l’Arche de Noé.
Car une fois que tous les espaces de vie terrestre furent engloutis, il fallut encore attendre le reflux des eaux et la réapparition des premiers sommets de terre ferme : la vie à bord de l’Arche de Noé devait s’organiser dans cette attente suivant des principes de patience.
L’attente devait toucher à sa fin dès qu’une petite colombe fut en capacité d’apparaître avec, en son bec, un petit brin d’olivier fraichement coupé : c’est précisément cette heureuse apparition aux yeux des passagers de l’Arche de Noé qui est, d’une part, la conclusion du récit, et, d’autre part, l’objet de l’illustre tableau du peintre Marc Chagall.
Sur le thème de l’organisation concrète à bord de l’Arche de Noé, on pourra toujours proposer cette vision par laquelle chacun des passagers fait des bons repas de petites fleurs séchées aux couleurs appétissantes, dans une sauce végétarienne fort nourrissante : cette dimension miraculeuse sera comme inhérente au personnage de Noé.
Car, d’un côté, l’Ancien Testament précise explicitement à cette occasion l’interdiction des orgies de sang de toute espèce vivante (cf Genèse, chapitres VI à VIII). Et d’un autre côté, cette affaire de l’Arche de Noé concernerait aussi un couple d’ancêtres du loup et de la louve de Gubbio, et quelques autres animaux dont la sagesse n’est pas évidente en toute occasion, sauf à considérer la sainteté inhérente au personnage de Noé.
Tout ceci se rapporte à des aspects fondamentalement merveilleux, faisant la joie d’un public qui retrouve un patrimoine culturel bien précis, et pour qui l’objet principal pourra être bien ailleurs que dans certaines interprétations au premier degré : on voudra considérer en particulier ce souci de préserver l’avenir de la vie terrestre en général.
Troisième cas de Tristan et Iseult

Première partie
En termes de patrimoine culturel bien précis, on peut aussi présenter la version dite « de Béroul » concernant la très fameuse idylle unissant Tristan et Iseult : il s’agit des fragments d’un parchemin, des fragments qui se rapportent à des réalités de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle, dont est dépositaire l’actuelle Bibliothèque Nationale de France BNF, mais des fragments dont on ne sait dire s’ils ont été écrits d’une seule main. Dès le commencement d’une présentation, les ingrédients merveilleux se mettent en place pour identifier la matière d’un superbe conte dans toute sa liberté d’appréciation.
Le thème général de ce conte est le sentiment amoureux plus fort que tous les interdits entre un certain jeune homme et une certaine jeune fille, une idylle qui dépasse largement tous les entendements raisonnables d’une bonne éducation, et qui ouvre la matière d’une histoire fort remarquable dans toute sa liberté d’appréciation : le thème général est celui de l’amour incompréhensible, pour ceux et celles qui apprécient les pléonasmes ou formulations manifestement redondantes.
Point ne sera besoin ici de recoller les fragments de la version dite « de Béroul » dans un ensemble aux aspects incertains, tant on sait que cette histoire n’aurait jamais pu se produire dans l’univers des choses compréhensibles dont sont faits les enseignements corrects.
On appréciera bien évidemment de s’en tenir à des choses correctes pour présenter les premiers éléments de cette histoire : Tristan est un jeune garçon, tôt orphelin de père et mère, mais naturellement de bonne éducation britannique, de par son oncle et auguste protecteur, le Roi Marc des Cornouailles Britanniques ; Iseult est une jeune fille, naturellement de bonne éducation irlandaise, de par son père, Roi en Irlande, et sa mère, magicienne de bonne réputation en Irlande. Les convenances s’imposent pour bien comprendre que Tristan et Iseult ne pouvaient pas et ne devaient pas s’unir l’un à l’autre.
La question des terminologies conditionne évidemment la bonne compréhension que l’on peut se faire de cette affaire, prenant soin de mettre une complaisance de bon aloi à l’endroit des récits anglo-normands du XIIe siècle : le principe d’une écriture en langue expressément vernaculaire était en l’occurrence celle du vieux français du XIIe siècle.
Il s’agit tout particulièrement de s’intéresser à ce qui est qualifié de littérature arthurienne, considérant que le Roi Marc de Cornouailles a sa place parmi les chevaliers de la Table Ronde autour du Roi Arthur, dans cette compréhension des choses. Ainsi se présente l’éducation aux bonnes manières du jeune Tristan.
Plus précisément, le poète normand, Robert Wace, chanoine à Bayeux au XIIe siècle, a écrit le « Roman de Brut », l’ouvrage principal par lequel la figure du Roi Arthur a fait son entrée dans la littérature française : il s’agit d’un récit qui s’inspire largement de l’œuvre de Geoffroy de Mounmouth « Historia regum Britanniae », et qui confirme le bon sire Henri de Plantagenêt, devenu Henri II roi d’Angleterre, dans ses motifs de se plaindre des mauvaises manières de l’envahisseur saxon, suivant la terminologie consacrée en français du XIIe siècle.
On trouvera intéressant de se documenter sur ce qui constitue ainsi des sources de légendes du XIIe siècle. Citons « Arthur et la Table Ronde, la force d’une légende » de Anne Berthelot, Editions Gallimard Coll. Découvertes, nov.1996 : le chapitre III fournit un résumé de la vie du Roi Arthur suivant les écrits de Robert Wace ; on voit de nombreux éléments qui réapparaissent bien dans le film « Merlin l’Enchanteur » de Disney.
On voit en particulier toute la place du clergé catholique dans l’organisation concrète des grands évènements, conformément aux réalités du XIIe siècle, entre bénédictions épiscopales, et références obligatoires aux principes chrétiens, qui s’appliquent largement aux chevaliers de la Table Ronde.
Dans la littérature arthurienne de langue française, il y a aussi les accents des trouvères du XIIe siècle chantant les valeurs de l’amour courtois en particulier, et toutes les valeurs chevaleresques dont on fait l’épaisseur des meilleures légendes : ainsi se précise l’éducation aux bonnes manières du jeune Tristan dans la version dite « de Béroul ».
D’un autre côté, l’éducation aux bonnes manières de la jeune Iseult se présente comme celle d’un monde bien différent, par son père, Roi en Irlande, et sa mère, magicienne irlandaise. Car Iseult possédait elle-même des pouvoirs de guérisseuse, dont on peut supposer que cela s’apparentait à de la magie, comme toute médecine dans un ancien contexte celtique.
Toutes choses s’imposent pour bien comprendre que, de toute façon, Tristan et Iseult ne pouvaient pas s’unir véritablement l’un à l’autre : il y a même une manière de comprendre cette affaire en acceptant de constater que les deux amoureux ne sont tout simplement pas de la même époque ; Tristan appartenait au monde chrétien du XIIe siècle développé par le chanoine normand Robert Wace, tandis qu’Iseult vivait dans un ancien contexte celtique qui, de toute évidence, n’était assujetti à aucune réalité anglo-normande.
Ainsi se présente un patrimoine culturel bien précis, à savoir la littérature arthurienne de langue française, faisant la joie d’un public pour qui l’objet principal pourra être bien ailleurs que dans certaines interprétations au premier degré : il y a cette capacité improbable à voyager en toute liberté entre des époques manifestement différentes.
Car Merlin l’Enchanteur et la fée Morgane étaient eux-mêmes des figures symboliques anachroniques dans le monde chrétien du XIIe siècle. On souhaite savoir en particulier, sur des questions de terminologie précise, que St François d’Assise faisait des miracles, et que cela ne se présentait pas comme de la magie, au sens anachronique des récits anglo-normands concernant les interventions de Merlin l’Enchanteur.
On retiendra néanmoins le caractère magique des légendes qui permettent effectivement de voyager en toute liberté entre différentes époques : ce sont ces fresques réalisées au XIVe siècle par les peintres Giotto et Pietro Lorenzetti, qui représentent en particulier la Vierge Marie et l’Enfant Jésus en conversation en présence de St François d’Assise.
Dans ce même principe, on s’intéressera pareillement à des fresques de Fra Angelico, du XVe siècle, au couvent St Marc à Florence : des fresques qui représentent aussi la Vierge Marie et l’Enfant Jésus en pleine scène de vie en présence de St Dominique.

Seconde partie
S’agissant de la fameuse idylle entre Tristan et Iseult, on peut aussi considérer les choses bien autrement, car des mentions existent dans des anciennes écritures galloises du IXe siècle, donc dans des écritures celtiques bien antérieures à la littérature arthurienne de langue française du XIIe siècle.
Les procédés par lesquels les autorités anglo-normandes se sont appropriées des anciens récits peuvent certes avoir des aspects séduisants, il n’en reste pas moins que tout un vocabulaire consiste à calquer une organisation de la vie sociale en général sur celle d’un christianisme du XIIe siècle.
En particulier, on peut examiner attentivement le besoin du chanoine de Bayeux de détailler bien correctement l’intronisation du jeune Roi Arthur dans la ville de Londres avec la bénédiction de l’archevêque qui convient pour cela : on devine évidemment le besoin de placer le bon sire Henri de Plantagenêt comme digne successeur du Roi Arthur, en tant que roi d’Angleterre, dans l’organisation hiérarchique qui prévalait au XIIe siècle.
Mais il est possible que cette représentation hiérarchique de l’Angleterre n’était pas non plus excessivement pertinente à l’époque du Roi Arthur, d’autant que les anciennes écritures galloises n’en font pas explicitement état : le thème de la Table Ronde peut même suggérer quelque chose d’équivalent au titre du Roi Arthur, partagé entre plusieurs chevaliers capables de se réunir d’égal à égal, sans aucune considération hiérarchique.
Pour s’en tenir au trône d’Angleterre, reconnu effectivement par le primat des évêques d’Angleterre, le principe qui s’est mis en place est officiellement celui de l’archevêque de Cantorbéry, institué par Rome en tant que tel à partir de l’an 597, pour reconnaître au départ les droits d’un Aehelberht dans l’administration de l’ensemble du Kent en bon voisin d’Europe du Nord : pour bien des raisons, les faits et gestes du Roi Arthur devraient être un peu antérieurs, et ne figurent en aucun cas dans les archives de Cantorbéry
Il convient de se représenter l’histoire de Cantorbéry, ou Canterbury en anglais, comme le haut lieu d’un monastère bénédictin qui était déjà prospère en 597, et plus généralement de se représenter le christianisme à l’époque du Roi Arthur comme le fait de monastères ayant une vraie notoriété, plutôt que le fait des évêques et leur supposée autorité.
Il convient aussi de se représenter les situations de voisinage en Europe du Nord comme l’occasion d’échanges incessants : la querelle entre les saxons et les anglo-normands auraient les exagérations d’une querelle de famille, à l’image de ce que seront, au XIe siècle, les affaires du roi anglais Edouard Le Confesseur, moitié saxon moitié normand.
Et parmi les querelles de familles, il convient d’imaginer qu’il y allait de même entre celtes britanniques et celtes irlandais : il reste nécessairement très compliqué d’imaginer que Tristan et Iseult aient réussi à s’unir.
D’un côté, il s’agit d’imaginer un récit en dehors des représentations hiérarchiques qui prévalaient pour le chanoine de Bayeux au XIIe siècle. Et d’un autre côté, s’en tenir aux seules réalités de l’époque du Roi Arthur pour raconter l’idylle entre Tristan et Iseult reste d’un domaine fondamentalement fabuleux, où les pouvoirs de toute personne guérisseuse s’apparentaient à de la magie, comme toute médecine dans un ancien contexte celtique.
On voit se préciser un peu une histoire par laquelle la jeune Iseult pouvait aussi être destinée à devenir une fée, mais en aucun cas à devenir l’épouse du jeune Tristan.
Pour se représenter certaines choses dans le contexte voulu, il existe un cas de figure bien intéressant, en la personne de Sainte Brigitte de Kildare, connue en Irlande en l’an 520, et dénommée aussi Ffraid en gallois, à la fois emblématique des pouvoirs surnaturels d’ancienne magie blanche chrétienne irlandaise, et témoignage de la place des femmes dans des fonctions ecclésiastiques celtiques, qui ont incontestablement contribué à l’essor d’une christianisation en Irlande.
Reprenons les mots de Jean Markale, dans son ouvrage « Nouveau Dictionnaire de Mythologie Celtique », Ed. Pygmalion/Gérard Watelet Paris 1999
Brigitte (sainte) : historiquement, il s’agit de l’abbesse fondatrice du monastère double de Kildare. Mais Kildare, ou Cill-Dara (« ermitage des chênes »), était aussi le lieu d’un ancien sanctuaire druidique où des femmes un peu analogues aux Vestales romaines avaient entretenu un feu perpétuel. Les éléments païens se mêlent si étroitement à la vie de l’authentique Brigitte qu’il est difficile de comprendre la vénération faite du personnage. La sainte historique peut aussi se confondre dans la mémoire populaire avec une antique déesse Brigit.
Donc il sera dit, d’une manière générale, que l’idylle entre Tristan et Iseult restera hautement incompréhensible dans le contexte des enseignements corrects.
Car il faudra bien restituer le caractère impossible de l’histoire de ces deux éternels amants du monde celtique : il faudra restituer une dimension poétique, portée par des mots très étranges, avec toute la force d’une imagination, à l’exemple des grandes libertés d’écriture d’un Rimbaud ou des poètes parnassiens du XIXe siècle
Il s’agira de faire revivre encore Tristan et Iseult en faisant la joie d’un public, pour qui l’objet principal pourra être bien ailleurs que dans certaines interprétations au premier degré : il y a aussi une manière de puiser dans le passé toute chose pour imaginer encore les attraits du futur